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mémoire de liseur
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28 juin 2010

L'ère du soupçon

Dans les années 50—L’ère du soupçon fut édité en 1956--, Nathalie Sarraute écrivait :

Les critiques ont beau préférer, en bons pédagogues, faire semblant de ne rien remarquer, et par contre ne jamais manquer une occasion de proclamer sur le ton qui sied aux vérités premières que le roman, que je sache, est et restera toujours, avant tout, « une histoire où l’on voit agir et vivre des personnages », qu’un romancier n’est digne de ce nom que s’il est capable de « croire » à ses personnages, ce qui lui permet de les rendre « vivants » et de leur donner une « épaisseur romanesque » ; ils ont beau distribuer sans compter les éloges à ceux qui savent encore, comme Balzac ou Flaubert, « camper » un héros de roman et ajouter une « inoubliable figure » aux figures inoubliables dont ont peuplé notre univers tant de maitres illustres ; ils ont beau faire miroiter devant les jeunes écrivains le mirage des récompenses exquises qui attendent, dit-on, ceux dont la foi est la plus vivace : ce moment bien connu de quelques « vrais romanciers » où le personnage, tant la croyance en lui de son auteur et l’intérêt qu’il lui porte sont intense, se met soudain, telles les tables tournantes, animé par un fluide mystérieux, à se mouvoir de son propre mouvement et à entrainer à sa suite son créateur ravi qui n’a plus à son tour qu’à se laisser guider par sa créature ; enfin les critiques ont beau joindre aux promesses les menaces et avertir les romanciers que, s’ils n’y prennent garde, le cinéma, leur rival mieux armé, viendra ravir le sceptre à leurs mains indignes—rien n’y fait. Ni reproches ni encouragements ne parviennent à ranimer une foi languissante.

Et, selon toute apparence, non seulement le romancier ne croit plus guère à ses personnages, mais le lecteur de son côté, n’arrive plus à y croire. Aussi voit-on le personnage de roman, privé de ce double soutien, la foi en  lui du romancier et du lecteur, qui le faisait tenir debout, solidement d’aplomb, portant sur ses larges épaules tout le poids de l’histoire, vaciller et se défaire.

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Commentaires
D
Si vous aviez, ô Lucien, un soupçon, oh! rien qu'un soupçon, de suite dans les idées, vous pourriez copier quelque extrait de Pour Sganarelle de Gary.<br /> Pourquoi pas?<br /> Simple suggestion.
D
Peut-on m'expliquer<br /> Les critiques ont beau préférer, en bons pédagogues, faire semblant de ne rien remarquer,...?
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