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mémoire de liseur
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7 juillet 2010

Montaigne : Le commerce des livres

Extrait de Trois commerces (Livre troisième chapitre III des Essais de Montaigne)

 

 

 

 

 

 

Celui-ci[le commerce des livres] côtoie tout mon cours et m’assiste partout. Il me console en la vieillesse et en la solitude. Il me décharge du poids d’une oisiveté ennuyeuse ; et me défait à toute heure des compagnons qui me fâchent. Il émousse les pointures de la douleur si elle n’est du tout extrême et maitresse. Pour me distraire d’une imagination importune, il n’est que de recourir aux livres ; ils me détournent facilement à eux et me la dérobent. Et si, ne se mutinent point pour voir que je ne les recherche qu’au détriment de ces autres commodités, plus réelles, vives et naturelles ; ils me reçoivent toujours de même visage.

Il a beau aller à pied, dit-on, qui mène son cheval par la bride ; et notre Jacques, roi de Naples et de Sicile, qui, beau, jeune et sain, se faisait porter par pays en civière, couché sur un méchant oreiller de plume, vêtu d’une robe de drap gris et un bonnet de même, suivi cependant d’une grande pompe royale, litières, chevaux à main de toutes sortes, gentilshommes et officiers, représentait une austérité tendre encore et chancelante ; le malade n’est pas à plaindre qui a la guérison en sa manche. En l’expérience et usage de cette sentence, qui est très véritable consiste tout le fruit que je tire des livres. Je ne m’en sers, en effet, quasi non plus que ceux qui ne les connaissent point. J’en jouis, comme les avaricieux des trésors, pour savoir que j’en jouirai quand il me plaira ; mon âme se rassasie et contente de ce droit de possession. Je ne voyage sans livres ni en paix, ni en guerre. Toutefois il se passera plusieurs jours, et des mois, sans que je les emploie : « ce sera tantôt, fais-je, ou demain, ou quand il me plaira. » Le temps court et s’en va cependant, sans me blesser. Car il ne se peut dire combien je me repose et séjourne en cette considération, qu’ils sont à mon côté pour me donner du plaisir à mon heure, et à reconnaitre combien ils portent de secours à ma vie. C’est la meilleure munition que j’ai trouvée à cet humain voyage, et plains extrêmement les hommes d’entendement qui l’ont à dire. J’accepte plutôt toute autre sorte d’amusement, pour léger qu’il soit, d’autant que celui-ci ne me peut faillir.

 

 

 

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