En 1989,

la Société

Nouvelle

des Editions Pauvert a édité, sous le titre Le roman cassé et derniers écrits, une série de textes, ébauche de roman, notes diverses de René Crevel.

J’extrais de ce recueil le texte La situation culturelle dans l’Allemagne nazie, notes pour un rapport destiné au comité Thaelmann.

Voici le texte :

Il suffit d’un strict, très strict minimum de bonne foi pour constater que, si l’hitlérisme est l’enfant maudit du traité de Versailles, jamais père n’apparut à ce point responsable des actes de son fils. Aussi, quand nous avons à dénoncer les actes et les crimes du Troisième Reich, nous intellectuels français antifascistes, nous devons d’abord et toujours nous rappeler avec quelle désinvolture la démocratie bourgeoise, la triomphatrice de 1918 procéda au dépeçage de tout un continent.

L’histoire retiendra comme une des plus grandes hontes de l’humanité le spectacle de ces vieillards réunis dans une assemblée où le crétinisme le disputait à la férocité pour piétiner, tailler, rogner à vif à même l’Europe du Centre et de l’Est et y organiser la misère matérielle, donc aussi la misère morale, la misère intellectuelle de dizaines de millions d’individus.

En systématisant l’exaspération des nationalismes vaincus par les nationalismes vainqueurs, la paix ne semblait viser qu’à la préparation de nouveaux massacres. Aujourd’hui, la lecture des journaux, le moindre coup d’œil sur l’actualité, tout nous donne que le but ne saurait tarder d’être atteint si les antifascistes ne font bonne garde.

En France, l’infect esprit d’union sacrée va bon train. Jeunesse patriote, Croix-de-Feu, anciens combattants, francistes et autres, ils grouillent tous les asticots de la décomposition capitaliste. Sur les murs de Paris, des affiches proposent l’entente des divers fascismes.

Or, des soudards ne s’entendent jamais entre eux que pour attaquer, dépouiller, assassiner. On devine contre qui serait dirigée la coalition des réactionnaires.

Les nazis aiment parler des races hautes et des races basses. Rien qu’au nom, au titre de ceux qui la dirigent, on sait à quoi rêve cette aimable alliance raciste européenne que préside un Français, le baron Fabre-Luce, tandis qu’un Allemand, le graf Reventlow, en a la vice-présidence.

Même si elle n’a d’autre valeur que symbolique, cette alliance des fascismes et des racismes est à considérer sur le plan de l’impérialisme international et dans le cadre national comme l’Etat, tel que Lenine le définit dans l’Etat et la révolution : « L’Etat est le produit et la manifestation de l’antagonisme inconciliable des classes. L’Etat apparait là où les contradictions ne peuvent être objectivement conciliées et dans la mesure où elles ne peuvent l’être. »

En fait, chaque Etat capitaliste, qu’il s’agisse de

la France

de Doumergue et de Tardieu, ou de l’Allemagne de Hitler, de Goering et de Goebbels, sur l’amas des contradictions inconciliables jette en guise de voile le délire d’hégémonie mondiale.

Cependant que, dans les colonies françaises, les négrillons ânonnent : »Nos ancêtres les Gaulois », à l’Université de Berlin le professeur Freiherr von Verschuer fait un cours sur le génie et la race. Le racisme germanique ne se contente d’ailleurs pas de prendre des poses grandiloquentes. Il fait le tendre, le spiritualiste et le docteur L.Klaus publie un livre sur

La Race

et L’Ame.

Le professeur Günther, lui, se réserve les relations racistes extérieures et traite de la race nordique chez les Indo-Européens de l’Asie.

Non-sens, escroquerie, mensonges, rien ne manque au sanglant vaudeville idéologique.

Jusqu’à ce jour, avec une égale imbécillité dans le chauvinisme rétroactif, patriotes français et patriotes allemands se disputaient Charlemagne. La querelle semblait devoir durer jusqu’à la fin du monde capitaliste et de ses superstitions historiques. Mais les hitlériens accordent la palme du racisme aux Saxons. Or, Charlemagne a vaincu les Saxons. De ce fait, Charlemagne doit être méprisé. Charlemagne n’est plus que le boucher des Saxons. Pour consoler les Saxons, taillés en pièces, voilà plus de mille ans, on leur élève un monument gigantesque.

La régression saute du passé connu au passé mythique. Julius Streicher, Alfred Rosenberg, Herman Wirth viennent de faire en chœur un petit bond jusqu’à l’an 10000 d’avant notre ère. Aux Allemands de 1934, ils proposent comme Bible nouvelle la chronique d’Ura-linda dont un de leurs propangandistes déclarait voici quelques jours : »L’Allemagne se trouve devant la nécessité de reconnaitre le fond de cet ouvrage sublime cmme étant le saint testament des Germains. Il puise dans des âges qui sont de 10000 à 12000 ans derrière nous et il est si riche en vérités profondes qu’il devra devenir pour nous l’écriture sainte de la religion germanique. »

Le journal de Streicher,

la Frankische

Tagezeitung

, impose ainsi la chronique et la découverte : « Voilà environ soixante-dix ans, on a trouvé en Hollande un ouvrage manuscrit dont le contenu représente la plus ancienne tradition de l’histoire de nos ancêtres. Ce document, la chronique Ura-linda, a été copié d’après l’original en 1256 par Hidde, surnommé Ura-linda (sous les tilleuls). »

Toujours selon Streicher, la chronique d’Ura-linda rapporte non seulement les lois et les coutumes des ancêtres germaniques les plus reculés, mais elle décrit aussi les temps de paix et de guerre, les organismes d’Etat et les coutumes de la plus haute antiquité avec de tels détails et de telles considérations que jamais l’humanité n’a été en possession de semblables documents.

Or, des professeurs des Universités de Berlin et de Breslau, après examen, ont déclaré que cette fameuse chronique n’était qu’un vulgaire faux et qu’il fallait y voir, et seulement y voir, la farce d’un libéral à l’époque de

la Révolution

française.

Le professeur de l’Université de Berlin Hubern annonce dès maintenant une brochure où par une analyse consciencieuse du style la preuve sera faite que ladite chronique n’est qu’un assemblage d’utopies d’ailleurs fort adroitement combinées.

Hubern place la date de sa rédaction vers 1800 et signale d’étranges rapports entre son idéologie et certains principes de

la Révolution

française.

Mais Streicher, Rosenberg et Wirth ne veulent pas se laisser convaincre. Alfred Rosenbreg, celui qui prétend diriger l’évolution morale et intellectuelle de l’Allemagne national-socialiste, s’est élevé contre l’attaque qui cherche à diffamer ce livre précieux.

« Cette attaque, prétend Julius Streicher, cette attaque n’a pas seulement pour objet la chronique Ura-linda Elle vise la haute culture antique de la race germanique et elle est menée par d’anonymes puissances sémites internationales. »

Il y a donc véritable lutte autour de cette chronique. Autour de Streicher, Rosenberg et Wirth se groupent tous ceux qui ne veulent pas qu’on prive le peuple allemand de son héritage antique et sacré, ou qu’on en diminue la valeur.

Wilhem Teudt, dans son livre sue les Saintes Reliques allemandes, part en guerre contre les quelques centaines de réactionnaires qui mettent en danger la chronique Ura-Linda et ne songent- ainsi qu’à nier toute la révolution national-socialiste et la réduire au néant.

Le professeur Wilhem Gustav Moritz qui enseigne à l’académie de médecine de Düsseldorf, auteur des ouvrages suivants : les Médecins militaires des anciens Romains, les Prostituées auprès des armées et les Moyens de les éliminer, le Soin des blessés dans les chants hérïques du Moyen Âge, le professeur Wilhem Gustav Moritz déclare que cette chronique est un témoignage précieux en faveur de la haute culture des ancêtres germaniques.

Quant au docteur Walter Wust, professeur à l’Université de Munich, lui ne se trouble pas et constate avec une paradoxale bonhomie que les anciens monuments linguistiques établissant l’uniformité de la culture indo-germanique courent toujours le risque d’être traités de faux.

Le mouvement religieux allemand qui réunit les groupements religieux libres et religieux nordiques des nationaux-socialistes n’a pas encore pris position sur cette question lors du congrès qu’il a tenu voici quelques semaines à Schwarzfeld. Cependant, les trois points suivants ont été établis au congrès de Schwarzfeld :

1 – La communauté religieuse allemande veut amener le renouvellement religieux du peuple par l’héritage profond de la civilisation allemande.

2 – La civilisation allemande est dans ses origines divines une mission de l’être éternel à qui nous obéissons.

3 – Dans cette mission, et seulement dans cette mission, sont réunies la parole et la coutume. La poursuivre veut dire mener sa vie à l’allemande.

Ainsi qu’on le voit, la thèse du mouvement religieux ne lui interdit pas d’adopter le saint testament des Germains.

M. Herman Wirth, M. Rosenberg, M. Streicher, le mouvement religieux allemand vont démontrer ce qu’est la véritable science. Déjà la semaine dernière, à l’assemblée constitutive de l’Académie du droit allemand, M. Rosenberg définissait ainsi le vrai : « Le vrai c’est ce qui est considéré vrai par les Aryens, le mal c’est ce qu’ils dénoncent. » On voit quelles jolies calembredaines fleurissent sur le fumier de la grande marmelade contemporaine.

Mais aussi bien que le crâne d’un raciste allemand, le crâne d’un nationaliste français peut servir d’écrin à de charmantes petites idées de cheval, des idées de cheval de bataille. Quelle bonne surprise, le jour où fut promis aux Parisiens un salon des artistes anciens combattants.

La qualité d’ancien combattant devenue criterium artistique, une telle trouvaille ne pouvait pas être mentionnée en regard de tel discours prononcé à Berlin le 23 Juillet 1933 à l’exposition des peintures du professeur Vollbehn, auteur de tableaux du front occidental, peints dans un ballon captif. Des lignes dithyrambiques ont été écrites sur ces reproductions exactes du front allemand et du front français entre 1914 et 1918.

Interdiction aux architectes allemands de construire dans le style oriental des maisons qui conviennent au désert. Le retour au motennâgeux est de rigueur. Aussi des architectes comme Gropius, Mendelsohn, May, Meyer ont été chassés et leur travail a été rendu impossible. On se passe d’eux volontiers d’ailleurs car les entrepreneurs de l’Allemagne national-socialiste ont à édifier des routes militaires, des réservoirs pour les gaz et des camps de concentration.

Au théâtre, on n’ose même plus jouer les classiques par peur des allusions qu’on pourrait y voir. Condamnés au folklre les auteurs divent écrire des bucoliques. Mais le citadin n’a guère notion de la vie paysanne et le ministre de l’Agriculture se voit dans l’obligation d’interdire des œuvres champêtres. Seul, le théâtre juif a conservé son excellent niveau, mais ce théâtre est un véritable théâtre de ghetto dont l’entrée est interdite aux Aryens. On a chassé les meilleurs metteurs en scène : Reinhardt, Jessner, Barnowski, Piscator. Parmi les vedettes qui ne peuvent plus paraitre sur la scène allemande, citons entre autres Fritz Korner, Elizqbeth Bergner, Moissi.

Les artistes de cinéma, de théâtre et les musiciens doivent pour trouver des engagements, appartenir à une association national-socialiste, Kaust-Kammer, Music-Kammer. La remarquable productin cinématographique est en pleine décadence. Le public ne s’est même pas interessé aux films spécifiquement hitlériens tels que Horst Wessel et le Jeune Hitlérien Quex.

Pour en revenir aux peintres, il ne leur reste qu’à se vouer à la déification di Führer et de ses collaborateurs. Ils doivent se conformer aux directives du ministre de

la Propagande

fasciste. Parce que l’ère de l’indiscipline est révolue, on a chassé, ou mis dans l’impossibilité de produire les peintres et les sculpteurs modernes tels que Klee, Hofer, Kokoschka, Barbah, Liebermann. Dans les académies, on n’a pas remplacé les professeurs privés du droit d’enseigner.

Au contraire des musées français, si pauvres en œuvres représentatives de l’esprit moderne, les musées allemands étaient fort riches en peintres contemporains. Cette peinture a été reléguée dans des chambres spéciales, dites « chambres des horreurs ».

« Nous ne voulons plus rien voir de ce qui appartient au domaine de la pathologie », déclare le docteur Eryck dans une étude sur l’éducation artistique.

Ainsi, sous prétexte de santé morale, on a brutalement systématisé l’obscurantisme. Le fait d’être un intellectuel est considéré comme une simple et vulgaire insolence.

Parce qu’elle a mis une lumière dans les ténèbres de ce qui, selon la formule d’André Breton, était la zone interdite, parce qu’elle a éclairé les rapports de l’individu et de la famille, la psychanalyse a été condamnée une fois pour toutes. On l’a accusée d’être une science juive qui diminuait la force et l’instinct. Les nazis ont dansé la danse de la force et de l’instinct autour du bûcher qui consumait les œuvres de Freud.

A Berlin, les nazis ont également brûlé la très précieuse documentation que le professeur Hirschfeld avait réunie dans son institut de sexologie.

Et bien entendu, en France, il s’est trouvé plus d’un intellectuel réactionnaire pour applaudir à ces autodafés.Ainsi, le pudique auteur d’Ouvert et de Fermé la nuit, de l’Europe galante et de tant d’autres turlupinades égrillardes, Paul Morand, dès octobre dernier, dans le premier numéro de l’infâme 1934 qui n’était encore qu’un répugnant 1933, Paul Morand, converti à la plus saint-sulpicienne des nécrophilies, sur l’autel de la maison Plon, après avoir réclamé des cadavres propres, louait Hitler d’avoir chassé le juif Hirschfeld. Il plaignait sa chère France, sa France la doulce, d’avoir dû accueillir un autre Juif, le compositeur Kurt Weill, rayé des programmes musicaux dans le Troisième Reich, comme tant d’autres compositeurs d’ailleurs, parmi lesquels les mondialement célèbres Schönberg, Hindemith, Toch, Rathaus et Eisler.

Un tel accueil à des victimes du plus stupide antisémitisme prouve bien que les notions de bonne foi, de naturel et de santé, comme l’a écrit l’éditeur Bernard Grasset dans sa préface à l’anthologie des œuvres de Joseph Delteil, l’auteur de Jeanne d’Arc, Saint François d’Assise, le Petit Jésus, les Poilus et le Vert Galant. Tandis que

la Sorbonne

fête Montherlant, le chantre des morts de Verdun et de l’Afrique de Lyautey, l’Académie des sciences morales et politiques, avec un touchant esprit de coordination, recevait dans son sein le célèbre marchand de canons M. Schneider.

Ainsi l’Institut de France est bien digne de l’Académie allemande des poètes, véritable institution de police, toujours prête à vanter les sinistres bouffonneries de Hitler.

En Allemagne, Johst écrit : « Quand j’entends le mot de culture, je tire mon revolver. »

En Allemagne, les étudiants nazis ne permettent pas aux professeurs libéraux de faire leurs cours. Ainsi, déjà, à Paris, les dadais d’Action française sont venus troubler le cours du professeur Prenant et les mêmes dadais d’Action française collaborent avec la flicaille, comme en fait foi la lettre de Paul Guichard, publiée dans le Populaire du mardi 19 juin : « Les camelots du roi, les commissaires de l’Action française se rendront ce soir sur le parcours des musiques militaires, ils applaudiront au passage de celles-ci et si des manifestations hostiles sont organisées par des organisations d’extrême-gauche, ils prêteront main forte à la police le cas échéant. »

Les fascistes de France menacent les victimes des fascistes d’Allemagne. La grande presse a mené campagne contre les étudiants réfugiés qui avaient obtenu des équivalences.

Inspirés par les Croix-de-Feu, les journaux d’Alsace-Lorraine s’attaquent aux Allemands qui ont dû fuir le Troisième Reich.

Ils désignent à la hargne du capitalisme patriotard ceux qu’ils appellent les instructeurs allemands de la garde communiste. Et le plus beau, c’est que dans ces feuilles nationalistes le seul texte rédigé en français se trouve être celui des placards de publicité pour les apéritifs, les vins fins, les assurances et cette formule : France d’abord.

Sous le prétexte, d’ailleurs faux, qu’il se mêlait de politique intérieure, le journal Le Jour a voulu priver de ses moyens d’existence le docteur Gumbel qui, grâce à une dotation américaine, occupe à Lyon une chaire de statistique. Le docteur Gumbel est l’auteur d’un ouvrage sur

la Vehme.

Il

est l’un des trois plus anciens ennemis d’Hitler, les deux autres étant Feuchtwanger, auteur du Juif Süss, et le philosophe Theodore Lessing, anti-militariste fervent qui publia un livre impitoyable sur Hindenburg et mourut assassiné par les nazis à Marienbad en Tchécoslovaquie, où il s’était réfugié.

En Hollande, l’écrivain allemand Heinz Lippmann vient de faire quatre semaines de prison pour insulte à une nation amie. Heinz Lippmann est l’auteur d’un roman intitulé Vaterland, roman qui se passe dans un camp de concentration où il fut lui-même emprisonné et d’où il parvint à s’enfuir pour se réfugier au pays de la douce et pieuse Wilhelmine. Dans Vaterland, dans le dialogue même du livre, se trouve mentionnée une accusation d’escroquerie, en tous points fondée, contre Hindenburg. Cette accusation, que toute la presse avait reproduite, déplut à un officier de réserve hollandais et sur sa plainte le réfugié allemand fut poursuivi et condamné.

Parmi les intellectuels victimes du fascisme hitlérien, les deux hommes qui courent aujourd’hui les plus grands dangers sont Ossietsky, pacifiste, rédacteur en chef de

la Welt

Buhn

, hebdomadaire de gauche, et Renne, l’auteur de Guerre.De naissance noble, il s’appelle de son vrai nom Vieth von Golsenau. Renne a fait la guerre comme officier mais son évolution, son adhésion au communisme lui ont mérité la haine implacable des nazis qui l’arrêtèrent au cours d’une conférence à l’Université ouvrière. Il est depuis en détention préventive.

Trois mille titres de livres allemands et étrangers on été brulés, défendus ou supprimés.

Les sciences politiques et sociales ont été le plus impitoyablement pourchassées. Seules ont trouvé grâce les œuvres anti-marxistes. Une guerre sans merci est faite à Karl Marx, Engels, Staline, Lénine, Trotsky, Boukharine, Babel, Max Adler, Bauer, bernstein, Gumbel, Hilferding, Kautsky, Helen, Keller, Lassalle, Liebknecgt, Rosa Luxemburg, Lounatcharsky, Hugo Pruss, Walther Rathenau.

Dans le domaine historique, on a interdit les œuvres pacifistes et défaitistes qui avaient trait à la guerre de 1914. On a interdit également les écrits qui sympathisaient de prêt ou de loin avec le bolchevisme. On n’a plus le droit d’avoir dans sa bibliothèque

La Révolution

autrichienne d’Otto Bauer, le Ludendorff de Karl Tschuppik, Sans défense derrière le front et Que serait une nouvelle guerre ? du même auteur, Têtes russes d’Oskar Blum, Tribunal populaire et Révolution allemande de 1919 de Fischer Balling, Bismarck et son temps de Kersten, De l’histoire allemande et De l’histoire prussienne de Franz Mehring,

la Révolution

de novembre de Mueller Franken.

Tout dernièrement un livre de Werfel, les 40 jours de Musa Dagh, a été interdit parce qu’il relatait la vie tragique des Arméniens, vie tragique qu’un lecteur eût pu assimiler à celle que les hitlériens réservent aux Juifs.

Les éditeurs ont rompu d’office les contrats qui les liaient aux auteurs juifs. Il y a eu quelques prcès et l’éditeur a toujours gagné, attendu que l’Allemagne ne s’intéresse plus à ce qui est sémite.

A Francfort, les Juifs n’ont pas le droit d’entrer dans la bibliothèque fondée par les Rothschild.

Parmi les auteurs contemporains prohibés, signalons les Américains Nathan Asch, John Dos Passos, Ludwig Levinsohn, Hemingway, Upton Sinclair ;

Le Polonais Salomon Asch ;

Les Russes Babel, Bobinskaya, Ilya Ehrenbourg, Gladkoff, Gorki, Ilff, Vera Imber, Katajew, Alexandra Kollontaïe, Leonnof, Michaël Sosthenko, Serathenovitsch, Trotsky ;

Les Tchécoslovaques Max Brod, Jaroslav Hasek, Gustav Meyrink ;

Les Hongrois Arthur Hlitscher, Bella Illes ;

Les Français Barbusse, Romain Rolland, André Gide et Roland Dorgelès ;

L’Anglais Lawrence ;

Les Allemands ou écrivains de langue allemande Bert Brecht, Almfred Döblin, Leonhard Frank, Egon Erwin Kisch, Arnold et Stefan Zweig, Artur Achnitzler, Ernt Toller, Fritz von Unruh, Jacob Wassermann, Franz Weiskopf et tant d’autres.

En revanche, on recommande officiellement quelques œuvres d’un nationalisme éprouvé et de mentalité allemande ; au premier rang les livres de Junger et d’autres pionniers du national-socialisme, Adolf Hitler en tête, bien entendu.

Mais les hitlériens ne se contentent pas d’un tel saccage culturel. Ils ont inventé une science nouvelle, la science militaire qui, en vérité, n’est que la manière de prévoir et de systématiser l’utilisation de toutes les autres sciences.

Le mérite de cette trouvaille revient à un certain Ewald Banse, professeur de géopolitique à l’Ecole polytechnique de Brunswick, un vieux de la vieille garde hitlérienne.

Toute université allemande a sa chaire de science militaire où en temps de paix est enseignée la préparation au service civil. Ce service civil n’a de civil que le nom. En fait, on militarise les chômeurs, les femmes et la jeunesse. Ils travaillent comme des ouvriers, mais sont payés comme des soldats, c’est-à-dire si peu que rien, environ deux francs français par jour. La fameuse organisation des loisirs militarise même le repos. Le travailleur en congé doit écouter certains discours, assister à certains spectacles.

Ainsi l’Etat dispose de tous le temps des travailleurs manuels et intellectuels. L’organisation des grandes parades gouvernementales procure quelques besognes aux membres du front culturel, au moins à ceux qui sont les nazis les plus fervents.

Des spécialistes éprouvés mettent en scène l’héroïsme de la révolution nationale.

Les cartes d’entrée pour ces preuves vivantes de la renaissance de la culture nordique sont vendues sous menace de dénonciation. Si le chantage est sans effet, les sections d’assaut seront chargées de faire le public. Mais même les S.A. ne sont pas friands de tels spectacles et le théâtre national-socialiste berlinois de Schiffbauerdamm a eu une existence très courte.

La T.S

.F. assure la vie culturelle à domicile par des discours de propagande et par la musique militaire.

« Le soldat est le prototype de la nation », selon Eugen Madanovsky, bras droit de Hitler et directeur de la radiophonie du Reich. Ajoutons que la science militaire de M. Banse veut que dans la mobilisation civile comme dans l’autre l’ouvrier soit toujours simple soldat. Hitler dont le troisième mot d’ordre est « communauté du peuple » a désigné, dans ses lois du travail, les propriétaires comme classe dirigeante. Le 2 Mai 1933, Hitler détruisit tous les syndicats et toutes les organisations, non seulement les organisations d’ouvriers, d’employés et de fonctionnaires, mais encore toutes les associations qui regroupaient les professions libérales. Il fit de quelques prédestinés les führers du syndicat fasciste.

Le décret pour la réglementation du travail national déclare tout crûment : « Les entrepreneurs seront les chefs et les directeurs de l’exploitation, les employés et les ouvriers seront leur troupe. Dans chaque entreprise, le chef établira un règlement écrit pour ses troupes. Dans les règlements seront prévus les montants des indemnités et les conditions du travail. »

Tandis que les troupes sont au travail, le grand stratège Banse se livre au plaisir de sa chère science militaire.

Un texte de Crevel

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