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mémoire de liseur
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11 juin 2010

Légèreté

Extrait de Leçons américaines d’Italo Calvino, traduit de l’italien par Yves Hersant, collection Folio.

Cette première conférence sera consacrée à l’opposition légèreté-pesanteur, et j’argumenterai en faveur de la légèreté. Non que les arguments de la pesanteur m’apparaissent moins valables ; mon choix signifie seulement que, sur la légèreté, je crois avoir plus de choses à dire.

Pendant quarante ans, j’ai écrit de la fiction, j’ai exploré diverses voies et tenté plus d’une expérience ; le moment est venu pour moi de chercher une définition globale de mon travail. J’aimerais proposer celle-ci : le plus souvent, mon intervention s’est traduite par une soustraction de poids ; je me suis efforcé d’ôter du poids tantôt aux figures humaines, tantôt  aux corps célestes, tantôt aux cités ; je me suis efforcé, surtout,  d’ôter du poids à la structure du récit et au langage.

Au cours de cette conférence, je tâcherai d’expliquer – à ma propre intention comme à la votre – ce qui m’incite à voir dans la légèreté moins un défaut qu’une valeur ; je dirai quelles sont, parmi les œuvres du passé, celles où je reconnais exemplairement mon idéal de légèreté ; je dirai la place que j’assigne à cette valeur dans le présent, et comment je la projette dans le futur.

Je traiterai d’abord du dernier point. Lorsque j’en étais à mes débuts, la représentation de notre époque était pour tout jeune écrivain un impératif catégorique. Plein de bonne volonté, je tâchais de m’identifier à la sauvage énergie qui meut l’histoire de notre siècle, je me plongeais dans ses événements tant collectifs qu’individuels. Je m’efforçais de saisir une syntonie entre le spectacle mouvement du monde, tantôt dramatique, tantôt grotesque, et le picaresque, l’aventureux rythme intérieur qui me poussait à écrire. Je n’ai pas tardé à m’apercevoir qu’entre les faits vécus, censés me fournir une matière première, et une écriture que je voulais agile, nerveuse, tranchante, un écart se creusait que j’avais de plus en plus de peine à surmonter. Peut-être n’ai-je découvert qu’alors la pesanteur, l’inertie et l’opacité du monde : qualités qui empoissent immédiatement l’écriture, si l’on ne trouve le moyen de s’en défaire.

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