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mémoire de liseur
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4 juillet 2010

Chateaubriand parle de George Sand

Peut-être les ouvrages de madame Sand doivent-ils une partie de leur effet à ce qu’ils sont d’une femme ; supposez-les le travail d’un homme, l’attrait de curiosité disparaît.

Ces romans, poésie de la matière, sont nés de l’époque. Malgré sa supériorité, il est à craindre que madame Sand n’ait, par le genre même de ses écrits, rétréci le cercle de ses lecteurs.  George Sand n’appartiendra jamais à tous les âges. De deux hommes égaux en génie, dont l’un prêche l’ordre et l’autre le désordre, le premier attirera le plus grand nombre d’auditeurs : le genre humain refuse des applaudissements unanimes à ce qui blesse la morale, oreiller sur lequel dort le faible et le juste ; on n’associe guère à tous les souvenirs de sa vie des livres qui ont causé notre première rougeur, et dont on n’a point appris les pages par cœur en descendant du berceau ; des livres qu’on n’a lus qu’à la dérobée, qui n’ont point été nos compagnons avoués et chéris, qui ne sont mêlés ni à la candeur de nos sentiments, ni à l’intégrité de notre innocence. 

La Providence

a renfermé dans d’étroites limites les succès qui n’ont pas leur source dans le bien, et elle a donné la gloire universelle pour encouragement à la vertu.

Je raisonne ici, je le sais, en homme dont la vue bornée n’embrasse pas le vaste horizon humanitaire, en homme rétrograde, attaché à une morale qui fait rire : morale caduque du temps jadis, bonne tout au plus pour des esprits sans lumière, dans l’enfance de la société. Il va naître incessamment un évangile nouveau fort au-dessus des lieux communs de cette sagesse de convention, laquelle arrête les progrès de l’espèce humaine et la réhabilitation de ce pauvre corps, si calomnié par l’âme. Quand les femmes courront les rues ; quand il suffira, pour se marier, d’ouvrir une fenêtre et d’appeler Dieu aux noces comme témoin, prêtre et convive : alors toute pruderie sera détruite ; il y aura des épousailles partout et l’on s’élèvera, de même que les colombes, à la hauteur de la nature. Ma critique du genre des ouvrages de madame Sand n’aurait donc quelque valeur que dans l’ordre des choses passées ; ainsi j’espère qu’elle ne s’en offensera pas : l’admiration que je professe pour elle doit lui faire excuser des remarques qui nt leur origine dans l’infélicité de mon âge. Autrefois j’eusse été plus entrainé par les Muses ; ces filles du ciel jadis étaient mes belles maitresses ; elles ne sont plus aujourd’hui que mes vieilles amies : elles me tiennent le soir compagnie au coin du feu, mais elles me quittent vite ; car je me couche de bonne heure, et elles vont veiller au foyer de madame Sand.

Mémoires d’Outre-Tombe ; Livre Quarante-troisième ; Chapître 7

Ecrit vraisemblablement fin 1834

Chateaubriand avait 66 ans.

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